Le paysage se distingue de la nature dans la mesure où il n’existe qu’à travers ceux qui le regardent ; il est une portion de la nature transformée en représentation, en image à regarder ou à méditer. Notre regard sur lui diffère selon les époques et les cultures ; il est, selon Alain Corbin, un « entrelacs de lectures dont la diversité peut susciter le conflit ».
Si la nature est elle-même meurtrie par un passé violent, comment témoigner de l’après coup des paysages ? Comment un paysage qui a connu des crimes d’une grande ampleur peut-il offrir une visibilité de l’Histoire ? Comment donner à voir, par la création, un « paysage de mémoire » – paysage entendu à la fois comme espace physique et psychique, et mémoire comme entrelacement de l’histoire collective et de l’histoire individuelle ? Au Cambodge, les Khmers rouges ont transformé radicalement les paysages. Plus de quarante ans après la chute du régime, hormis quelques rares sites mémoriaux comme S-21 ou Choeung Ek, les traces des massacres sont peu visibles et n’apparaissent pas sur les cartes officielles. Les charniers qui parsèment par milliers le pays sont des lieux d’oubli. Dépourvus de signes distinctifs, ils finissent par disparaître de la mémoire des hommes.
Partout où des conflits ont existé, la question du paysage est essentielle pour déchiffrer les strates mémorielles d’événements enfouis qui manifestent de façon diffuse, malgré le passage du temps, la réalité de ce qui a été. Face à l’impression de désolation et de mort des lieux, qu’ils soient désertés ou parsemés de ruines, les artistes et théoriciens ont tenté d’interroger et de traduire la chose impensable qu’est la violence extrême.
Notre attention se porte ici sur les modes d’appropriation d’un passé qui résiste, à travers des représentations de paysages, telles qu’elles peuvent être travaillées par les dispositifs de l’art contemporain, le cinéma ou la littérature. À travers elles, une tension dialectique est toujours perceptible entre le proche et le lointain, le passé et le présent, l’oubli et la mémoire.
« Mémoire et paysage » est un programme de recherche du dispositif Idéfi-CréaTIC de l’Université Paris 8. Une place majeure a été accordée ici à des « ateliers-laboratoires » dans lesquels de jeunes créateurs de l’Université royale des Beaux-Arts (Phnom Penh), de l’Ecole Phare Ponleu Selpak (Battambang) et de l’Université Paris 8 ont été invité(e)s à créer des œuvres autour de la problématique des « paysages fantômes » et des mutations urbaines.
- Responsables du projet « Mémoire et paysage » et direction artistique : Patrick Nardin et Soko Phay
- Artistes invités : Marie Preston, Arno Gisinger, Chan Vitharin.
- Participants : Hak Bor, Cristóbal Bouey, Mirna Boyadjian, Amatak Chhaiya, Samphors Chann Huyno El, Carole Fekete, Florencia Hisi, Samnang Long, Rafael Medeiros, Sokpanha Neou, Ambra Pittoni, Visal Sek, Beatriz Sterling, Rida Srun, Laura Tence, Sovanpanha Ty.
- Traducteurs : Pisey Kosal, Sokro Suong et Im Lim.
- Dates et lieux de travail :
- Ière session : à Phnom Penh, du lundi 27 mars au jeudi 6 avril 2017, puis à Kep, du vendredi 7 au 11 avril 2017
- 2e session : à Siem Reap, du 19 au 22 octobre, puis à Phnom Penh, du lundi 23 octobren3 au vendredi novembre 2017
- 3e session : à Phnom Penh du 16 au 29 avril 2019
Le programme « Mémoire et paysage » trouve un prolongement dans les programmes de recherche « Le Paysage après coup » en France et « Landscapes Afterwar(d)s » en France et au Cambodge.
- Partenaires :
- En France : Idéfi-CréaTIC, l’Université Paris Lumières, EUR ArTec, l’Université Paris 8 – Département d’Arts plastiques, l’équipe EPHA du Laboratoire Arts des images et art contemporain (AIAC) le Service des Relations internationales de l’Université Paris 8, les Archives nationales de France, le Centre d’art contemporain Faux Mouvement à Metz.
- Au Cambodge : l’Université Royale des Beaux-Arts, le, Centre des archives audiovisuelles Bophana, l’École des arts visuels de Phare Ponleu Selpak.